PROFIL TYPE DU 
PLACOMUSOPHILE

 Etudions ce cas d’espèce et suivons le dans un cocktail..!

A peine arrivé, il pénètre dans les lieux et effectue son premier repérage. Satisfait, il se plie aux us et coutumes, serre des mains, s’incline, se présente, remercie, acquiesce, répond, questionne… il sillonne, chemine de l’un à l’autre, même s’il ne connaît personne. Peu importe, il n’est pas là pour se pavaner, ce n’est pas le but principal de sa présence, ni se sa raison profonde.

Pour tout dire, il s’implante petit à petit, se rassure, prend position. Mais ne vous y trompez pas, dans son parcours labyrinthique, il revient inévitablement vers le buffet, comme pour vérifier son indispensable présence. Son œil perçant surveille, guette, épie ce lieu saint de manière maladive. Peu à peu il sombre dans un état second : le brouhaha ne parvient plus à ses oreilles, les odeurs, les parfums enivrants ne titille plus son odorat développé, les belles femmes ne l’émeuvent plus… 

Soudain il trépigne. Au risque de paraître mal élevé, incorrect il va, dans la seconde qui suit, plaquer son interlocuteur, en plein milieu d’une phrase, balbutiant une pâle excuse. Tout son corps le tire, son âme ne répond plus, sa tête est vide, ses gestes désordonnés, son regard fixe ne voit plus qu’une chose : ce buffet qui le nargue.

Brusquement, il se précipite vers cette immense table immaculée. Il joue des coudes, des épaules, dérange, pousse, bouscule… en un mot, se fraye un chemin jusqu’à la nappe, jusqu’à la toucher, la saisir presque. Il s’accroche aux bords, prend racine, se fige et, face au serveur, hagard, les yeux au bord des orbites, décompose chaque geste, analyse, attend l’ultime instant, prêt à bondir, toutes griffes dehors.

Il pourrait presque fermer les yeux, je dis bien presque, et décrire ainsi le gestuel du garçon vêtu de blanc : « tenir la bouteille dans la main gauche, tandis que la main droit desserre le muselet afin de libérer la coiffe ; retirer celle-ci et la jeter dans la poub… Nooonnn ! ! ! Le cri retentit, ultime, profond. Un hurlement sauvage provenant des entrailles. Un son rauque et bestial qui glace le sang et dresse les poils de l’assistance. Et dans ce silence pesant, une petite voix s’élève :

«  Excusez-moi… je peux… récupérer… oui la capsule… oui, c’est ça… oui… merci. ».

La vie reprend son cours. Il s’éloigne, contemplant son trophée. Encore emballée, la capsule ne se livrera que décoiffée. Le visage de notre homme, sa mimique, jubilatoire ou déçu, nous en apprendra plus sur sa capture. Si la pièce est rare ou intéressante, il y retournera, plus fort, plus sur de lui, les pectoraux gonflés, le rictus du bienheureux à la commissure des lèvres et l’œil satisfait. Il emploiera un ton plus familier, plus sympathique, mais toujours respectueux :

« C’est encore moi… vous pouvez me les mettre de côté (montrant celle qu’il tient dans la main), je suis collectionneur. Merci beaucoup ». Mais ne vous y trompez pas, il reviendra de temps en temps pour s’assurer qu’on ne l’oublie pas. Il ne demandera rien, esquissant simplement un sourire, juste pour rappeler au serveur qui il est, histoire de lui rafraîchir la mémoire au cas où.

Néanmoins, il ne faut pas oublier l’autre cas de figure. Celui ou notre homme repart bredouille ou presque. La capsule, quelconque ne présente aucun, mais alors vraiment aucun intérêt. On lit alors la détresse dans ses yeux. Le regard de chien battu, l’échine basse, il en oubli presque les petits fours, le champagne et se fond dans l’assistance, vers la sortie…

Il lui arrive aussi qu’il ne soit pas le seul (collectionneur j’entend). C’est généralement en fin de soirée après avoir amassé un confortable butin enfoui dans sa poche, qu’un « confrère » s’approche négligemment de lui.

« Excusez-moi de vous importunez, mais vous êtes, paraît-il, collectionneur comme moi de plaques de muselets (notez bien qu’il n’a pas employé le mot capsule). C’est le monsieur là, (il désigne le serveur du doigt) qui m’a donné le renseignement. Il n’en a plus, mais m’a dit que vous en aviez plusieurs. Il sourit. Vous pourriez peut être m’en donnez une ou deux… »

Une OU DEUX ! Pourquoi pas trois ou quatre ou dix… Notre homme fouille dans sa poche et ressort deux capsules qu’il tend à l’autre collectionneur, grimaçant un sourire douloureux.

« Merci beaucoup, c’est très gentil de votre part. Peut être à une autre fois. Au revoir »

C’est ça, pense notre homme, le cœur déchiré d’avoir été dévalisé de deux capsules. Bien sûr l’autre collectionneur aurait pu être… une collectionneuse. Et là, les choses se seraient passées différemment. Ils seraient certainement retournés au buffet, déguster quelques bulles, parler de leur collection, envisager des échanges, se retrouver sur d’autres lieux et puis qui sait… mais ça ce n’est plus de la placomusophilie.

Daniel VEAUX

NDLR. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existés serait fortuite et ne saurait en aucun cas engager la responsabilité de l’auteur de ces lignes. Autrement dit, si vous croyez vous reconnaître dans cette description atypique du placo-musophile, c’est que le virus est en vous et la guérison quasi impossible.

Je pense que beaucoup d'entre nous vont se reconnaître, c'est tout à fait cela !!!

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